Racines locales pour un modèle de consommation agroécologique

 

Josep Marqués Meseguer

 

Clara Celestino et Ivan Fernández sont deux jeunes qui à Castelló de la Plana (Pays Valencien, état espagnol) sont à l'initiative d'expériences alternatives dans la production et la consommation d'aliments. Agroécologie, autogestion, proximité, horizontalité et supports mutuels sont les concepts de base pour comprendre les initiatives sociales et économiques qui surgissent un peu partout dans le but d'humaniser et donner de la dignité à la consommation.

 

A un moment où les classes populaires ont de plus en plus de mal à se ravitailler, il devient urgent de se demander comment se décident les prix de ce que nous achetons, d'où viennent les produits, quelles sont les mesures de qualité qui s'appliquent et par quelles mains passent les aliments que nous consommons. Pour Clara et Ivan, membres de la Xarxa d'Agroecologia de Castelló (XAC) et de la Cooperativa de consum CENNUC respectivement, le menu qu'on nous sert est très indigeste: les grandes corporations alimentaires ne mettent aucune limite à leur intérêt lucratif, marchandisent les aliments, appauvrissent les producteurs et le territoire et dégradent tant et plus la qualité des produits que nous consommons, de manière qu'ils nuisent notre santé plus qu'ils ne la renforcent.

La XAC et CENNUC sont le fruit de cette remise en question de l'alimentation ; ils s'opposent au système alimentaire conventionnel, responsable de forts déséquilibres sociaux, économiques et environnementaux à l'échelle mondiale. La XAC est d'abord créé comme un outil de formation qui propose périodiquement des cours d'agriculture écologique, de cuisine, de débats, d'ateliers et qui parallèlement participe à la Foire d'Agroécologie et échange de semences locales ou à la Semaine de la lutte paysanne et anti-OGM, au Pays Valencien. Deux ans après sa création, un groupe de consommation est créé au sein de la XAC.

 

Organiser la consommation

 

La fonction principale d'un groupe de consommation, comme son nom l'indique, est d'acheter des produits de manière collective. Les achats se font en contactant directement les producteurs et en établissant collectivement le prix de chaque produit ; une fois que les produits ont été récoltés ou préparés, il suffit de les distribuer aux membres du groupe. Dans le cas du CENNUC, les producteurs font parti de cette coopérative de consommation et par conséquent se ravitaillent avec leurs propres aliments tout en fournissant les autres membres de la coopérative. Quoi qu'il en soit, le plus important est que tout le monde collabore dans le processus qui va de la récolte à la consommation des aliments : « Nous essayons de ne pas fonctionner comme un magasin et pour cela il est fondamental qu'il y ait un système de relais. Nous nous réunissons de temps en temps pour nous organiser dans la répartition des tâches: appeler les producteurs, répartir les commandes qui arrivent… Nous passons aussi beaucoup par Internet parce que nous n'habitons pas tous à Castelló », explique Clara Celestino (XAC).

Les commandes de produits se basent sur les besoins des membres et c'est pour cela qu'il n'y a aucun contrat et donc aucune obligation de continuer à acheter. Quels produits peut-on trouver ? « Nous plantons ce qui est le plus demandé ou ce qui plaît le plus aux gens », commente Ivan Fernández, agriculteur et membre du CENNUC. « Il s'agit essentiellement de produits variés et de saison. Cela a toujours été un impératif pour nous. Il ne faut pas forcer la terre et c'est une façon de ne pas se passer d'aliments aussi bons que le poivron ou la tomate (pour ne citer que deux des plus habituels). Nous avons une variété trop riche d'aliments pour ne consommer que quatre légumes. »

 

Agroécologie et certification écologique

 

Ce qui est fondamental, c'est que les produits soient variés, locaux, de saison et… biologiques ? Clara tranche la question : « Nous achetons le pain à Alcalà de Xivert, surtout parce que nous connaissons le projet des gens qui s'en chargent. Nous ne disposons pas du label d'agriculture biologique mais nous vérifions directement leur fonctionnement et les méthodes qu'ils utilisent comme avec le riz, les œufs ou les pâtes que nous commandons. Au-delà du label de certification, il est important d'être en contact avec les producteurs et de voir comment ils travaillent : il n'est pas indispensable de payer un organisme officiel pour qu'après il ne mette pas en place les mécanismes nécessaires à la régulation des produits. Nous, nous pensons que les propres consommateurs peuvent en superviser la qualité grâce à la garantie participative. Nous pensons qu'il s'agit de réhumaniser la consommation ».

Le contact direct avec les producteurs permet que les consommateurs se rendent compte du coût des aliments et de cette façon il est plus facile de s'accorder sur le prix des produits. Dans les grandes surfaces, non seulement nous ne connaissons pas l'origine de ce que nous achetons mais en plus nous ignorons si les prix stipulés permettent que les producteurs puissent vivre de leur travail de façon digne. Il semble que la seule chose importante soit de chercher les articles en promotion. Les groupes de consommation ne participent pas de la dynamique selon laquelle on fait la promotion du produit bon marché plutôt que du produit local et de qualité. Au contraire, ils valorisent plutôt la composante alimentaire et les bénéfices sociaux et environnementaux de la production agroécologique. C'est pour cela que faire du coût l'unique critère pour sélectionner un produit peut être bien peu représentatif et erroné comme le détaille Clara : « Nous nous sommes rendus compte que la différence de prix n'est pas si grande; elle est même parfois inexistante ! ».

 

Défis pour un changement de modèle

 

Malgré tout, ni les multiples bénéfices que génèrent les produits agroécologiques ni la nécessité sociale de combattre et de s'éloigner des circuits alimentaires conventionnels ne semblent être des raisons suffisantes pour que la société penche en faveur des groupes de consommation. Que manque-t-il alors pour consolider cette option ? Selon Clara, « participer à un groupe de consommation n'est pas simple de prime abord, il faut s'investir personnellement. Tout le monde n'est pas prêt à se réunir périodiquement au moment des achats ; cela implique un minimum d'expérience ». Est-il possible alors d'envisager ce modèle comme un véritable moteur de changement social ? « La grande lutte pour les groupes de consommation n'est autre. Le fait de disposer d'une grande surface ouverte de 9h du matin à 9h du soir donne un grand confort de vie. Je crois que le changement de la consommation est un outil indispensable pour pouvoir transformer le système ; pour moi c'est donc prioritaire. Le capitalisme se nourrit de la consommation ; si nous changeons la façon de consommer, nous finirons pas casser le système », conclut Ivan. Pour envisager une transformation radicale dans la consommation des aliments, il est nécessaire d'analyser la situation actuelle des champs et de la production agricole. Une situation, cela va sans dire, qui vit des moments difficiles : « L'agriculture est actuellement très résiduelle. Dans le système capitaliste actuel, ou bien tu possèdes un grand terrain avec une production spécialisée, ou tu ne peux pas en vivre; tu as besoin de machines et de main d’œuvre et tu finis par devenir, que tu le veuilles ou non, un chef d'entreprise. Par ailleurs, le reste de la production agricole qui ne suit pas cette voie reste en bonne partie quelque chose de traditionnel ou de familial pratiqué comme un loisir : des producteurs d'amandes, d'oranges, d'huile qui est ce que nous avons le plus, ici à La Plana, en sont un clair exemple. En ce moment ils ont un rendement très faible », argumente Ivan. Il n'est pas étonnant alors qu'il y ait de plus en plus de champs à l'abandon et que diminuent aussi le travail et les habitants les plus ruraux ou les plus isolés du territoire.

 

Petits et en réseaux

 

La clé pour en finir avec cette dégradation de la petite production agricole semble se trouver dans l'élimination des intermédiaires, et c'est là que toute la dimension locale prend toute son importance : « Nous pensons qu'avec une remise en question de la production et des méthodes de ravitaillement de la société, on pourrait profiter beaucoup plus des ressources des champs. L'histoire de notre potager est justement celle-là : le terrain que nous cultivions auparavant était un champ d'orangers que nous avons transformé en production horticole, avec laquelle nous fournissons trois familles chaque semaine. Avec si peu, nous arrivons à entretenir le potager et en plus nous nous auto-approvisionnons », explique Ivan. Ce petit volume de consommation, loin d'être un problème (la XAC passe commande pour vingt ou trente familles), est vu comme une condition indispensable pour le fonctionnement de ce groupe : « On ne peut pas créer une seule et grande organisation. Si tu essaies d'approvisionner, par exemple, 200 familles, la participation relaie disparaît et en même temps cela ouvre la voie à la bureaucratisation, à l'emploie de salariés… En définitive, on finit par perdre l'implication directe du consommateur et on se convertit à nouveau en magasin », commente Clara. Le développement passe plutôt par la création de nouvelles initiatives propres à chaque endroit ; en plus de Castelló de la Plana, près de ce noyau, nous trouvons aussi des groupes à Vinaròs et à La Vall d'Uixó, et beaucoup d'autres dans tout le territoire avec lesquels ils font souvent des échanges et des rencontres (la XAC, par exemple, fait parti de la Plataforma per la Sobirania Alimentària del País Valencià).

« Nous grandissons, nous sommes de plus en plus nombreux. Il faut multiplier les groupes de consommation. Il faut que les gens se rendent compte qu'il existe un autre type de production et de consommation », revendique Ivan. De nouvelles formes de consommation qui, sans complexe assument leur caractère politique, comme l'exprime Clara : « Que tu le veuilles ou non, consciemment ou non, à travers ces groupes de consommation tu fais une action politique. Il faut accepter que ces pratiques s'éloignent du système établi. Les changements se démontrent en les pratiquant ».

 

Publié originalement à L'Accent, numéro 220 (aussi dans le site web de la publication, www.laccent.cat).

 

Traduction : Elsa Barba.